SONGE D'UNE NUIT D'ETE
Dinant au coeur de la nuit
Lampadaires qui tamisent le bruit
d'une foule agitée
et toute éparpillée
sur fond de Meuse endormie.
Nous longeons le rivage
Tu es à mes côtés bien grave
De profondes rides burinent ton visage
Mais ta beauté défie les outrages
communs à ton âge
Je te sens tout contre moi
Nous cheminons quelques pas
en évitant les fêtards ivres
qui titubent le long de la rive
Brusquement tu m'étreins
sans rien me dire
d'autre que ton sourire
puis tu disparais soudain
engloutie par je ne sais quel destin.
Ballotté au hasard
je broie du noir
quand une main de soie
se pose sur moi
et me voile les yeux
tandis qu'un rire joyeux
impose un répit
à mon dépit.
Doucement j'écarte les doigts
en essayant de reconnaître la voix
qui tente de me dérider
un peu contre ma volonté
Quelle n'est pas ma surprise
de reconnaître Pauline
ma jeune et jolie voisine
Son sourire provocant
ne cache rien de ses intentions
elle m'entraîne résolument
dans la direction
du chemin de halage
discret lieu de passage
où l'ombre complice
favorise les jeux en bis
Sa bouche cherche mes lèvres
son corps en fièvre
se colle dans un coin
contre le mien
qui a bien envie de s'abandonner
à l'offre si joliment donnée
mais au moment de céder
à l'instinct presqu'animal
d'un plaisir brutal
ton visage réveille ma conscience
et me rappelle ces interférences
qui depuis si longtemps nous tancent
entre le devoir d'aimer
et celui de créer
le refus de la société de fait
dans l'espoir d'une nouvelle humanité
Gentiment je repousse
la gentille frimousse
en lui conseillant
de trouver un plus jeune amant
De nouveau livré à ma solitude
au sein de la multitude,
je t'imagine en train de dessiner
dans le chaud grenier
de ta verte chaumière
sur les hauts d'Hastière
où tu t'es retirée hier
pour réaliser ce rêve si ancien
d'avoir un atelier rien qu'à toi enfin
puis je me mets en quête
d'une cabine téléphonique
pour te conter cette requête
aussi séduisante qu'impudique
ê laquelle j'ai failli succomber
dans mon désarroi passager
A travers la place noire de monde
je commence un périple où l'ombre
ne cesse d'alterner
avec les stands illuminés
où des couples éméchés
me bousculent tout amusés
de me voir si clairement ailleurs
et étrangers à leur bonheur
Est-ce ma mémoire qui flanche
je nage en plein dans l'étrange
car, j'en suis certain,
j'y mettrait les cinq doigts de ma main,
c'est là que hier je t'ai appelé
pour te lire mon dernier né
Mais devant moi le mur nu
semble se moquer de mon air confus
je repars en chasse
en parcourant le place
du long en large
me sentant de plus en plus en marge
des badauds dont l'affluence
exaspère mon impatience
Enfin je crois deviner
l'appareil tant désiré
dans un encoignure
toute obscure.
En repoussant sans ménagement
quelques passants,
j'atteins enfin l'objet de mon désir,
mais quel n'est pas mon déplaisir
de tomber sur une boite aux lettres
où je n'ai rien à mettre,
car ce sont des vibrations de ta voix
que j'ai un besoin immédiat.
Enervé, je frappe énergiquement
l'appareil cette fois si décevant
et ... je me retrouve dans mon lit
tout ébahi !
Revenu à la réalité
et quelque peu apaisé
Je comprends enfin que mon avenir
n'est pas de tenter à n'en plus finir
de te retenir
mais où que je sois
tout près ou loin de toi
simplement de t'appartenir.
Yvan Balchoï
le 10 septembre 1993